Les perspectives de l’industrie et de la pharmacie
Des essais menés par Astredhor montrent qu’il est possible de cultiver sous serre des plantes produisant des métabolites valorisables dans différents secteurs d’activité.
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des démarches de diversification des activités en horticulture ornementale ont été explorées par Astredhor Seine-Manche et Loire-Bretagne-site CDHRC, à la demande des professionnels de la filière horticole, dans leurs stations d’expérimentation respectives. Elles se sont concentrées toutes deux sur la production de plantes d’intérêt industriel.
Ces projets de recherche sont nés dans les années 2010, face au contexte économique difficile pour la filière et à la nécessité de trouver d’éventuelles sources de revenus complémentaires. Un constat a été posé : les entreprises disposent de surfaces et de savoir-faire sous-exploités en dehors des périodes de production. De plus, il y a une diversité biologique dont le potentiel n’a pas été étudié, pour les espèces horticoles comme endémiques.
De leur côté, les industriels sont à la recherche d’un « clean label », en utilisant des plantes qui soient cultivées avec un minimum d’intrants – dont les produits phytosanitaires –, pour des secteurs aussi variés que la cosmétique, la pharmacie, l’agroalimentaire ou encore les biomatériaux. L’horticulture, à la faveur des serres et de leur climat contrôlé, le recyclage des eaux d’irrigation, peut répondre à ces exigences.
« Une chaîne bien structurée existe déjà, rappelle Marc-Antoine Cannesan, directeur d’expérimentation à Astredhor Seine-Manche. Elle va des producteurs aux industriels en passant par des intermédiaires pour le séchage ou la préparation d’un produit, par exemple, voire pour son extraction. »
La traçabilité ou l’image de production de proximité et de qualité qui sont garanties par des labels tels que HVE (haute valeur environnementale) sont aussi des concepts recherchés actuellement. Sans compter que l’industriel voulant se fournir en matériel végétal en dehors des frontières sera soumis aux contraintes du protocole de Nagoya*, alors qu’il n’aura pas à rencontrer les mêmes difficultés en s’approvisionnant localement.
Une plante pour les cosmétiques, l’autre pour la pharmacie
Ce constat dressé, les deux stations Astredhor ont dû procéder à des choix concernant les plantes à cultiver. La station Loire-Bretagne-site CDHRC, dans le cadre d’un projet financé par la région Centre-Val de Loire et les professionnels adhérents, a d’abord mis en culture des plantes dont l’intérêt industriel est reconnu afin d’évaluer la faisabilité technique. Coleus forskohlii et Artemisia annua ont été retenus.
Le coléus produit dans ses racines de la forskoline, utilisée principalement en cosmétique. L’armoise génère pour sa part de l’artémisinine dans ses feuilles, un composé antipaludique.
Les techniciens se sont interrogés sur la possibilité de cultiver ces plantes modèles sous serre. En région Centre-Val de Loire, différents itinéraires de culture ont été mis en place sous serre verre et comparés à un itinéraire de production en pleine terre. Ainsi, l’armoise a été cultivée en hydroponie et en hors- sol avec différents supports de culture. Pour le coléus, un itinéraire de production en aéroponie a également été évalué.
Salin ou lumineux, le stress peut doper la production de métabolites
Pour Coleus forskohlii, la culture sous serre verre en aéroponie permet d’augmenter d’une fois et demie la production de biomasse racinaire par rapport à une culture en pleine terre. Les cultures en conteneurs sont quant à elles moins productrices de matière sèche racinaire. C’est donc l’aéroponie qui donne les meilleurs résultats. Pour Artemisia annua, la production de biomasse est similaire quel que soit l’itinéraire de culture.
Après avoir démontré la faisabilité technique, la seconde question qui se posait était évidemment de savoir si les métabolites recherchés dans la plante étaient présents. Pour cela, des analyses ont été réalisées par l’Institut de chimie organique et analytique (ICOA) à Orléans (45). Avec Coleus forskohlii, la teneur en forskoline est bien plus élevée en pleine terre qu’en aéroponie. Pour Artemisia annua, il est possible en hors-sol d’avoir des rendements en artemisinine supérieurs au témoin en pleine terre. Puis la station s’est demandé si la production sous serre pouvait optimiser la production de métabolites. En ce qui concerne Coleus forskohlii, un stress lumineux fait doubler le rendement en forskoline. Quant à Artemisia annua, un stress salin augmente la teneur en artemisinine dans les parties aériennes.
Un catalogue d’espèces prometteuses
Astredhor Seine-Manche s’est aussi intéressé à ces problématiques à partir de 2015-2016 sur des fonds de la région Normandie, mais en choisissant une autre stratégie, celle du sourcing végétal. La station a cherché à définir quelles étaient les espèces de la gamme horticole pouvant se révéler intéressantes.
Un travail bibliographique a été effectué à la même époque pour croiser ce qui est cultivé avec ce qui a déjà été testé en usage industriel, chercher dans la littérature quels métabolites pouvaient être présents dans quelles espèces et quels étaient leurs effets et vertus.
Ce travail a abouti à l’élaboration d’un catalogue mettant en avant les plantes prometteuses. La famille des asteracées, et en particulier les achillées, y occupent une place importante, que ce soit Achillea millefolium, A. filipendulina, etc. Celles-ci présentent des composés phénoliques dignes d’intérêt, avec des propriétés exploitées en cosmétologie ou en pharmacologie. Les crassulacées et euphorbiacées offrent aussi des perspectives, en particulier les sédums et euphorbes, dans lesquels des huiles essentielles recèlent des propriétés antibactériennes ou antifongiques. Les clusiacées, et plus spécialement les Hypericum, sont également assez connus en littérature scientifique pour leurs propriétés pharmaceutiques dues aux flavonoïdes ou à l’acide phénolique qu’ils contiennent.
Du côté des lamiacées, Nepeta a des propriétés antibactériennes, herbicides, voire antifongiques en fonction des espèces. Riches en antioxydants, les sauges sont utilisées en pharmacopée. Les malvacées (Delphinium), les papavéracées (Papaver), les renonculacées (pulsatilles, aconit), les solanacées (physalis), les rosacées (alchémille) et les scrofulariacées (Penstemon) ont également été ciblées.
Un choix a été réalisé dans ce catalogue par la station en fonction des intérêts de ses partenaires. Les deux modèles retenus ont été l’achillée millefeuille (Achillea millefolium) ainsi que le pavot d’Islande (Papaver nudicaule), choisis en concertation avec le laboratoire Biomolécules et biotechnologies végétales (BBV) de l’université de Tours (37), qui est associé à l’essai.
La littérature scientifique démontrait en effet que le pavot contenait des alcaloïdes (des molécules importantes dans les papaveracées) et les achillées, des monolignols. Ces molécules sont toutes exploitées en pharmacopée.
Huit composés intéressants dans l’achillée
À partir de 2017, avec des fonds européens, dans le cadre d’un appel à projets Feader, la poursuite de ce travail a été lancée, avec deux partenaires, le laboratoire BBV pour les analyses et l’association Nov&atech de la chambre régionale d’agriculture de Normandie (pour le lien avec les industriels).
Les deux taxons ont été conduits selon deux systèmes : l’hydroponie et les cultures verticales. Le second a donné, pour les deux espèces, des résultats assez peu satisfaisants en termes de développement cultural. En revanche, sous LED ou films photoluminescents, de bons résultats ont été obtenus.
La station ne savait pas quelles molécules chercher une fois les plantes récoltées. Un profil métabolique a été réalisé avec, à chaque fois, la distinction entre appareil aérien, racinaire et fleurs. L’université de Tours a identifié les pics des chromatogrammes identifiant les différents métabolites présents. Huit composés majeurs intéressants ont été repérés dans l’achillée, par exemple. Dans le pavot, ce sont surtout, sans surprise, des alcaloïdes qui ont été retrouvés.
Les expérimentations ont mis en évidence, concernant l’achillée, un effet organe – certains métabolites sont en effet plus présents dans les tiges, d’autres dans les racines –, un effet itinéraire de culture – une présence inégale selon les conditions –, mais assez peu d’effet variété – une seule (Moonshine) des neuf testées se montrant plus riche en métabolites que les autres. Il n’y a pas d’effet millésime car les résultats sont homogènes dans le temps.
Des pistes de réflexion à continuer d’explorer
Au-delà de ces résultats, l’important à retenir est qu’il s’avère possible en France de produire sous serre des plantes dotées d’un intérêt industriel, concluent Marc-Antoine Cannesan et Olivier Yzebe (Astredhor Loire-Bretagne-site CDHRC). L’outil horticole permet aussi d’optimiser le rendement tout en favorisant la fabrication de métabolites secondaires. Mais il n’y a pas de recette unique, que ce soit dans le choix des plantes ou des itinéraires de culture. Il faut de préférence adopter une approche au cas par cas.
Jusqu’à présent, les travaux menés n’ont pas intégré de volet économique, en particulier pour vérifier si l’approvisionnement local peut suppléer les importations. Au-delà des aspects touchant à la production, la qualité des métabolites est également importante, ce qui rend cette analyse économique ardue. Toutefois, une perspective se révèle intéressante pour la filière : certains estiment que la qualité sous serre est meilleure qu’en pleine terre !
Pascal Fayolle*Le protocole de Nagoya « vise un partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques de plantes, animaux, bactéries ou autres organismes, dans un but commercial, de recherche ou pour d’autres objectifs ». Il implique des limites dans le recours à certaines ressources génétiques.
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